AMMAR BELHIMER : SUR LA ROUTE « DES PRINTEMPS DU DESERT »

Quelques mots sur le livre « Les printemps du désert » et entretien avec son auteur Ammar Belhimer

« Les printemps du désert »

Entretien d'Ammar BelhimerLes printemps du désert, un livre de Ammar Belhimer publié aux éditions de l’ANEP-Alger (Août 2016) met en exergue les soulèvements sociopolitiques dans les pays arabes sur lesquels l’auteur avec une certaine clairvoyance et beaucoup d’authenticité historique apporte toute la lumière sur ces événements qui ont marqué l’histoire du monde arabo-musulman depuis quelques années.

En choisissant sciemment le titre de son livre : « les printemps du désert »,  l’auteur explique par ailleurs que c’est pour mieux  mettre en évidence le paradoxe qu’il y a à appeler « printemps » : des événements et des faits porteurs d’aridité. Ammar Belhimer, figure emblématique du paysage médiatique algérien, connu surtout pour sa plume en tant  que journaliste, éditorialiste et fondateur de plusieurs médias, universitaire et docteur en droit de l’Université Descartes à Paris, s’interroge dans cet essai sur la part des héritages politiques dans cette partie du monde où les printemps arabes ont manifestement échoué.   Insistant particulièrement sur le malaise actuel dans ces pays pour mieux faire comprendre la perception de ces conflits qui entretiennent en permanence les crises de « guerre » dans cette région ; Il nous invite subtilement à jeter un tout autre regarLe Soir d'Algéried « politique » sur ces printemps arabes face au nihilisme de notre époque où les valeurs ont totalement basculé. Une analyse claire, précise, extirpée de ses notes et autres informations stratégiques, diverses et variées, tirées entre autres de ses chroniques qui paraissent chaque semaine dans le quotidien « le Soir d’Algérie ».

Par ce travail pertinent et méticuleux, l’auteur interpelle l’avenir de cette région devant les rapports complexes et  difficiles des pays les uns avec les autres. Là où justement la théorie du bon voisinage a totalement disparu au profit des intérêts des plus puissants à des fins stratégiques et uniquement économiques. Autant de questions et de réponses sur ce sujet sensible toujours au cœur de l’actualité dans ces pays où on n’a pas encore réussi à contenir les tensions depuis les printemps arabes face à des fractures sociales, ethniques, religieuses, à côté d’un lourd déficit démocratique, une aggravation des inégalités sociales et des économies en net recul. Pourquoi ce livre ? Si ce n’est qu’il vient révéler avec justesse l’époque d’un renversement de valeurs en mettant l’accent précisément sur des faits historiques incontournables où la contestation  partant de la rue est en prise avec toutes les forces présentes. Le tout sous l’action des Etats-Unis autour d’une stratégie globale d’experts des USA, d’Israël et de l’Otan avec ce lien puissant des entreprises d’armement et celui des sociétés pétrolières. Pour l’auteur, il était même nécessaire en s’imprégnant historiquement de ce sujet à partir de textes d’expertises en l’occurrence, de rappeler à l’opinion et aux lecteurs de son ouvrage toutes les étapes de cette escalade de la guerre et  sa terreur, le rôle des ONG, de la société civile et l’action des réseaux sociaux. Et parmi toutes ces questions, il y a surtout celle qu’il dévoile sur les calculs dissimulés de cette « doctrine Bush »* qui a consisté surtout à faire des musulmans de simples consommateurs et à intégrer leurs économies dans la mondialisation des produits. Ammar Belhimer de préciser à cet égard: « Cela rend l’islamisme parfaitement soluble dans les choix économiques et sociaux néolibéraux qui n’entravent aucunement les intérêts énergétiques et commerciaux occidentaux ». Et de pointer du doigt par ailleurs le rôle des sous-traitants joué par le Qatar et l’Arabie Saoudite. Grâce à un travail personnel inédit qui a consisté à rassembler toutes les preuves sur l’ambigüité de cette situation, ses fêlures et ses conséquences, l’auteur finit par dresser sans aucun équivoque un bilan quasi désastreux des printemps arabes. Et d’expliquer textes à l’appui ce qu’est l’effondrement de ces Etats  nations et l’abandon des souverainetés depuis les Accords de Sykes-Picot* au GMO (Grand Moyen Orient) de 1916 jusqu’à la doctrine Bush en 2003, sans oublier le Pacte de Quincy de 1945*. Car tous ces pays des printemps arabes n’ont plus aujourd’hui les mêmes ressources économiques pour surmonter ce qui est déjà pour leurs peuples un grand traumatisme. Ce livre aura tout au moins le mérite de faire état d’un constat surtout critique sur les bénéficiaires de ce « mouvement des révolutions » de 2011 que sont les secteurs de l’armement et du pétrole dans cette crise. Ce qui n’aura servi en effet qu’au démantèlement des états hérités de la colonisation pour ne leur offrir aujourd’hui que des situations de sous-développement, aux effets ravageurs sur les populations désormais vouées à l’exil. L’auteur n’hésitant pas tout au moins à croire bien malgré lui à une nouvelle approche globale d’une reconstruction d’Etats forts ancré sur l’égalité et la justice avant tout.

JACKY NAIDJA

Accords de Sykes-Picot : Accords secrets signés entre la France et le Royaume Uni le 16 mai 1916 pour le partage du Proche- Orient.

Le Pacte de Quincy : conclu en 1945 et porte le nom du Croiseur américain sur lequel il a été conclu et qui va faire de l’Arabie Saoudite un fournisseur particulier dont la sécurité  doit être assurée à tout prix.

* Doctrine Bush : (Remodelage du Grand Moyen-Orient) stratégie d’abord évoquée le 26 février 2003 par Georges Bush à l’American Entreprise Institute avant d’être consacrée le 9 mai 2003 à l’université de Caroline du Sud.

* Ammar Belhimer : Dernières Publications-Histoire de la Pensée Economique .Ed. Juris-com (2007)

– La dette extérieure de l’Algérie. Casbah Editions (1998)

Entretien avec Ammar Belhimer ENTRETIEN

JACKY NAIDJA

1/ Votre livre retrace toute la problématique historique et sociologique de ce qu’on a appelé les printemps arabes. Peut-on encore parler de printemps arabes aujourd’hui quand bien même l’actualité du reste du monde les a fait presque oubliés ? Ou bien cette ère là est bien derrière nous ?

AMMAR BELHIMER

Je récuse l’expression « printemps arabe ». Je lui préfère celle de « printemps du désert » que j’ai choisie comme titre à mon ouvrage afin de mettre en évidence le paradoxe qu’il y a à appeler « printemps » des événements et des faits porteurs d’aridité.

« L’essai » en question est une construction éditoriale à partir d’éléments de lecture déclinés en chroniques hebdomadaires dans le quotidien « Le Soir d’Algérie » au cours des cinq dernières années.

Il s’agit pour l’essentiel de lectures d’expertises et recherches américaines qui, avec le recul, servent de révélateurs de la direction historique et de la paternité des événements en question, d’une part, des forces et des moyens qu’elles ont mobilisés, d’autre part.

  • du point de vue de la direction : ils scellent le passage des accords Sykes-Picot de 1916 au GMO de Bush en 2003,
  • du point de vue de la paternité : ils confortent la mainmise du complexe militaro-industriel états-unien dans son nouvel habillage « leading from behind » de sous-traitance (doctrine Obama).

Ces lectures témoignent aussi des forces mises en mouvement et des moyens mobilisés pour reconfigurer la géopolitique arabe.

Elles mettent enfin en évidence des résultats probants qui ont pour l’essentiel abouti à la contraction et au reflux du mouvement de libération nationale et sociale, au dépeçage des Etats-Nations et à l’abandon des souverainetés.

Du point de vue de la direction, celle-ci obéit à une matrice qui part des Accords Sykes-Picot de 1916 jusqu’à la formulation de la doctrine Bush de « remodelage du Grand Moyen-Orient » – énoncée le le 26 février 2003 devant une réunion de néoconservateurs de l’American Enterprise Institute (AEI) – en passant par le Pacte de Quincy de 1945.

C’est dire, pour répondre au second volet de votre question, que cette ère là est loin d’être derrière nous.

JACKY NAIDJA

2/ A vous lire avec grand intérêt, en quoi votre livre apporte t-il particulièrement des révélations sur ces événements historiques?

AMMAR BELHIMER

Les « révélations » tiennent  principalement à la mise en évidence de facteurs occultés, par intérêts. « Révélation » d’abord quant  à la paternité du « printemps arabe » : elle renvoie à un centre unique, «une alliance mondiale entre les sociétés pétrolières intégrées et les grands entrepreneurs de l’armement, qui commandent les gouvernements occidentaux et les grands pays producteurs de pétrole. Cette coalition a subi un mouvement bidirectionnel : les exportations d’armes occidentales au Moyen-Orient et les exportations de pétrole hors du Moyen-Orient».

Les guerres dans la région accroissent inévitablement le prix relatif du pétrole, les profits différentiels et la part relative des sociétés pétrolières. Ce modèle indique que le récit classique —les Etats-Unis lancent des guerres au Moyen-Orient pour maintenir des prix bas — doit être retourné sur sa tête. Les Etats-Unis lancent des guerres au Moyen-Orient pour maintenir des prix élevés.

« Révélation » aussi quant aux forces mises en mouvement qui ont obéi à une cartographie précise indiquant :

  • l’arbitraire des pouvoirs en place, assis sur une gouvernance policière faisant de moins en moins appel à l’adhésion populaire et productrice d’exclusion, constitue un terreau favorable à l’extrémisme,
  • l’incapacité des libéraux à mener à bien des réformes démocratiques bourgeoises,
  • les espoirs déçus des couches moyennes qui auraient davantage marqué le cours des choses : «Sur la période qui a précédé le Printemps arabe, la satisfaction a diminué dans tous les pays étudiés » (Banque mondiale),
  • la quête de nouvelles assises construites sur l’islam politique, d’obédience wahabite (par ailleurs opposé aux Frères musulmans rayonnant de Qatar et de Turquie),
  • la mobilisation d’acteurs sociaux en quête d’affirmation : les jeunes et les minorités.

« Révélations » quant aux moyens recensés qui mettent en valeur le rôle des ONG et des réseaux sociaux.

JACKY NAIDJA

3/ Le monde entier connait les conséquences de ces bouleversements dans le monde arabe, aujourd’hui disséqué, divisé où tout est à reconstruire. Où se situent d’après-vous les responsabilités des uns et des autres ?

AMMAR BELHIMER

Au final, le « printemps arabe » aura abouti au démantèlement et à la déstabilisation des entités étatiques héritées de la colonisation pour leur substituer des configurations économiquement sous-développées, politiquement antidémocratiques et socialement inégalitaires. La Libye est en lambeaux, le Soudan coupé en deux, l’Irak sous partition confessionnelle, le Yémen et la Syrie en ruines (elle paie pour son intransigeance face au sionisme), la Tunisie en récession est pourvoyeuses de troupes pour la nébuleuse Daesch. Et ce n’est pas fini.

Le monde arabe n’est pas sorti de l’impasse.

JACKY NAIDJA

4/ Quand vous parlez de « Doctrine Busch » dans le  ( Grand Moyen Orient), y voyez-vous seulement les intérêts pétroliers américains et ceux concomitants des grands trusts de l’armement qui alimentent les guerres ou bien quoi d’autre en fait?

AMMAR BELHIMER

L’Initiative de Grand Moyen-Orient (Greater Middle East Initiative, GMEI) vise à transformer le paysage politique et économique de la région MENA. Lors de son discours sur l’état de l’Union du 24 janvier 2004, George Bush déclara ainsi : « Tant que le Moyen-Orient restera un lieu de tyrannie, de désespoir et de colère, il continuera de produire des hommes et des mouvements qui menacent la sécurité des États-Unis et de nos amis. Aussi, l’Amérique poursuit-elle une stratégie avancée de liberté dans le Grand Moyen-Orient », jetant ainsi les bases de ce qu’on appelle désormais « la doctrine Bush ».

Elle sera déclinée principalement à la faveur d’une occupation de l’Irak qui a chassé le dictateur Saddam Hussein pour installer la guerre civile.

JACKY NAIDJA

5/ Comment mieux expliquer le rôle d’OBAMA  à cet égard dans cette situation selon vous?

AMMAR BELHIMER

Depuis 2011, l’administration Obama a formulé la dernière version du nouveau commandement états-unien : « leading from behind », diriger depuis l’arrière, à distance, sans s’exposer – notamment aux pertes humaines.

Il est mis en pratique par la sous-traitance au profit de puissances régionales, une mission disputée à l’intérieur même de l’espace islamiste entre le wahabisme saoudien et les frères musulmans d’Ankara.

JACKY NAIDJA

6/ A partir de ce constat historique et sociologique que vous faites, croyez-vous en l’avenir du monde arabe ?

AMMAR BELHIMER

L’état de la Ligue arabe renseigne parfaitement sur l’absence de perspective historique pour le monde arabe comme entité unie. C’est un nouvel ordre construit sur mesure pour les monarchies féodales qui financent l’effort de guerres dans l’esprit de la doctrine Obama, cette dernière étant une mise à jour du Pacte de Quincy de 1945, du nom du croiseur américain sur lequel il a été conclu, et qui fait de l’Arabie Saoudite « un fournisseur vital dont la sécurité doit être assurée à tout prix ».

JACKY NAIDJA

7/ L’Algérie a été épargnée par les printemps arabes. Est-elle sortie définitivement de cette impasse et d’après-vous qu’est-ce qui a principalement concordé à cette situation ?

AMMAR BELHIMER

L’Algérie a été épargné pour deux raisons : d’abord, parce que le besoin de sécurité est fortement ressenti parmi une population éprouvée par dix années de guerre civile qui a fait plus de 200.000 morts ; ensuite, parce que les injustices à l’endroit de la population et les frustrations qui frappent les couches moyennes ne sont pas aussi fortement ressenties chez elle, du fait de l’effort de transferts sociaux consenti à hauteur de douze milliards de dollars chaque année.

JACKY NAIDJA

8/ Que dites vous alors de la Syrie d’aujourd’hui région de conflits avec de réels enjeux de  guerre, un pays que vous avez d’ailleurs visité récemment et du rôle de la Russie dans la situation qui prévaut actuellement dans cette partie du monde arabe ?

AMMAR BELHIMER

J’ai visité la Syrie en janvier 2015 et je dois dire qu’au-delà du procès fait au panarabisme arabe incarné par le régime d’Al Assad – lequel n’est pas un chantre de la démocratie – et du soutien, très large, assuré par l’Occident et ses alliés arabes aux coalitions rebelles, principalement islamistes, ce sont les souffrances du peuple syrien, les destructions et l’exil qui font le quotidien du peuple syrien. Force est de dire qu’en l’état actuel des choses, la Russie est un rempart contre l’avènement de ce que le monde arabo-musulman recèle comme activistes réactionnaires.

Entretien réalisé par Jacky NAIDJA

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