ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC KARIM MOUSSAOUI RÉALISATEUR A CINEMED MONTPELLIER

Entretien avec Karim Moussaoui

Karim Moussaoui, né en 1976, comédien, producteur et réalisateur du film « En attendant les hirondelles » au succès retentissant est l’invité du festival Cinemed 2019 en tant que membre du jury Longs Métrages présidé par Julie Bertucelli pour décerner « L’Antigone d’Or » lors de la cérémonie de clôture du festival.

Un choix fatidique de Cinemed et une première pour lui. Un grand honneur reconnait-t-il. Lui qui est venu à Cinemed pour présenter son 1er long métrage « En attendant les hirondelles » dont on connait le parcours jusqu’au festival de Cannes où il a été sélectionné dans la section « Un certain Regard » en 2017. Après avoir débuté dans le cinéma avec la réalisation des courts métrages notamment en 2003 avec « Petit Déjeuner« , puis « Noir sur Blanc » en 2005 et « Ce qu’on doit faire » en 2006, il s’est attelé depuis à un nouveau scénario coécrit avec Virginie Legeay pour réaliser « les Jours d’avant« , un succès sans précédent nommé aux Césars en 2015. Mais sa carrière a débuté surtout dans « Chrysalide » au milieu de ses potes amoureux du cinéma comme lui. Une association culturelle régie comme un ciné-club sur les hauteurs d’Alger dont il était un membre éminent pour parler cinéma en tant que comédien après une bonne expérience de responsable de la programmation cinéma à l’institut français d’Alger.

Karim Moussaoui rencontré à Cinemed avant le palmarès a bien voulu répondre en exclusivité à nos questions.

Entretien avecKarim MOUSSAOUI

Jacky NAIDJA : Karim, vous voilà aujourd’hui membre du jury  de Cinemed pour décerner l’Antigone d’Or le 1er Prix Longs Métrages. Que ressentez-vous à en ce moment, juste avant le palmarès ?

Karim Moussaoui : Franchement, c’est une première pour moi. Un grand honneur et une vraie reconnaissance de mon travail auquel j’associe toux ceux qui ont œuvré avec moi et qui m’ont soutenu. J’ai été très sensible à cette marque de confiance de Cinemed. Et c’est une autre expérience dans ma vie qui m’a enchantée. Je la reçois aussi comme une récompense, une consécration car de là où j’étais au milieu du jury, j’ai pu me rendre compte comment porter un regard plus judicieux, plus attentif sur les films et leurs auteurs, avec mon affect et ma subjectivité aussi. J’ai bien compris cette distance pour juger un film et surtout le travail d’un autre réalisateur comme moi. Je vous avoue que cela a été difficile pour le choix mais le jury s’est concerté librement et a fait son choix. Cela n’a pas été facile certes, mais on espère avoir fait le bon choix pour le 1er Prix de l’Antigone d’Or de cette 41è édition de Cinemed Montpellier.

Jacky NAIDJA : Quels sont vos projets au cinéma aujourd’hui ?

Karim Moussaoui : je finis l’écriture d’un scénario d’un  film nouveau dont je tairai le titre. Vous comprendrez sûrement pourquoi. Le budget non plus n’est pas encore finalisé. Mais il y a déjà le projet en écriture auquel j’y tiens fortement avec tout mon espoir dans cette nouvelle aventure que j’ai hâte de réaliser.

Jacky NAIDJA : Il se passera où ?

Karim Moussaoui : A Alger où j’ai mes habitudes forcément.

Jacky NAIDJA : Justement d’Alger parlons-en et aussi d’Algérie. Il y a un climat de protestation depuis le 22 février avec des rdv de manifestations chaque vendredi. On en est à la 36è marche publique si je crois bien. Qu’en pensez-vous personnellement  du Hirak ?

Karim Moussaoui : Pour parler juste et vrai, le Hirak continuera tant qu’il n’y aura de réponse plausible concertée. La crise politique semble sans issue et l’armée dirige toujours le pays. Mais il y aura toujours une sortie de crise, car il y a la politique et le reste sans tentation du passage en force. Pour les élections, je reste persuadé qu’elles n’auront sans doute pas lieu ou alors des élections de faux semblant car la rue est unanime sur ce sujet et n’accorde aucun crédit à des dirigeants habitués aux trucages des élections par le passé. La rue veut être écoutée et doit être écoutée. Tout le monde est d’accord pour une sortie de crise, cela dépendra comment on veut la faire, comment  l’exercer avec ou sans concertation du peuple et avec qui ? Car il n’y a pas de débat là dessus, ni sur ce qu’on peut faire ensemble en somme, ni même sur l’avenir du vivre ensemble dans ce grand pays. C’est ce qui est le plus important de mon point de vue, dans un pays malade de ses institutions, de sa pensée unique qui tient plus compte des intérêts des uns et des autres plutôt que des intérêts collectifs du peuple avec un régime militaire qui restreint les libertés, multiplie les arrestations et pourchassent les contestataires. Un régime qui a décidé tout seul des élections présidentielles le 12 décembre prochain pour tenter de passer en force certainement.

Jacky NAIDJA : Et que fait-on de cette jeunesse dont on dit qu’elle est en grand nombre  au chômage et même avec des diplômes supérieurs?

Karim Moussaoui : Cela est tout à fait vrai.  Elle est dans la rue et manifeste tous les jours, suivie évidemment  de vieux, de familles entières qui n’en peuvent plus de ce système. De telle sorte que la jeunesse est désespérée et se sent exclue à cause d’une multitude de raisons : l’emploi pas facile, la formation qui peine ou inexistante dans l’Algérie profonde et même l’éducation où il n’y a pas de débouchés pour des diplômés. Sans compter le quotidien avec toutes les difficultés matérielles, le transport, le logement, les soins rendus difficiles par l’inexistence des médicaments… En comparaison d’autres pays par exemple, un jeune dès 18 ans a déjà des perspectives d’avenir. A l’université, chez nous les étudiants n’ont guère de perspectives comme juste de vivre normalement. C’est à dire vivre leur jeunesse simplement, voyager, découvrir l’ailleurs, d’aimer librement, de rêver en quelque sorte, de réaliser leur bonheur. Car, quand le bonheur est pris en charge la réussite suit. Je reste persuadé malgré tout que l’avenir de l’Algérie appartient à toute cette jeunesse qui manifeste aujourd’hui avec grande responsabilité, lucidité et le sourire. Faute de quoi, la jeunesse continuera de s’exiler ailleurs, à l’étranger et la crise du régime persistera encore longtemps dans laquelle on risque de s’enfoncer durablement.

Jacky NAIDJA : Et sur ces gens qu’on emprisonne à cause de leurs opinions voire parce qu’ils manifestent ?

Karim Moussaoui : On sait aussi qu’ils sont de plus en plus nombreux à côté de ceux qui ont pillé l’Etat. C’est toute une autre question. Mais ce que l’on  croit plus fermement c’est  que la justice en Algérie n’est pas indépendante. Elle est aux ordres du régime en place et se justifie par l’arbitraire, les arrestations sous couvert du manque de moyens. Incompréhensible devant tant d’injustices surtout qu’aucune mesure d’apaisement n’a été mise en place. C’est l’objet de nombre de revendications du peuple sur la justice, la santé, l’éducation, la culture, la sécurité des biens et des personnes qui sont les piliers d’une nation. Il va falloir tout reconstruire mais quand ?  Là où  la liberté et la démocratie manquent lamentablement, rien n’est possible et il sera difficile de gouverner un pays dans un climat actuel. C’est mon point de vue personnel que j’assume.

JACKY NAIDJA : Parlons de l’avenir du cinéma en Algérie, comment le voyez-vous ?

Karim Moussaoui : Le cinéma est lui aussi malade de sa culture, de sa production plus souvent contrôlée, dirigée, de ses projets qui n’aboutissent pas toujours mais aussi de ses financements difficiles à obtenir. Malgré tout les cinéastes notamment ceux de cette nouvelle et jeune génération continuent de travailler à des œuvres, à prendre des responsabilités et même certaines libertés mais de là à les réaliser, c’est une autre question pas du tout facile, avec au bout la croix et la bannière. Preuve en est, qu’on peut faire du cinéma ailleurs et il est bien perçu. Ce n’est donc pas un manque de professionnalisme ou alors comment expliquer que de films produits par des cinéastes algériens et sur l’Algérie sont reconnus et souvent récompensés à l’étranger. A cela s’ajoute les salles de cinéma, le peu qu’il y a sont en train de se rénover avec difficultés et la plupart sont fermées et délabrées. Personnellement je le vois comme une forte demande de la jeunesse qui aspire à faire du cinéma, encore faudrait-il de grandes écoles de formation ou des instituts de cinéma spécialisés. Néanmoins, il y a encore des films qui sortent qui circulent mais pas beaucoup dans l’arrière pays où le cinéma est inexistant à cause des salles, du public quasiment absent et surtout de la diffusion voire des diffuseurs. Mais j’ai l’espoir qu’un jour on vivra mieux avec un grand projet dans toutes ses dimensions venant de la culture comme une dynamique prospère et nécessaire à notre pays.

Jacky NAIDJA : Un dernier mot, un dernier message ?

Karim Moussaoui : Oui celui de garder espoir pour tous les algériens et pour l’Algérie entière. Merci à vous.

De Montpellier,  JACKY NAIDJA AVEC INES ILIANA

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