Entretien exclusif de Yann Arthus Bertrand
Entretien exclusif de Yann Arthus Bertrand
En exclusivité sur le site REPORTERS.DZ ALGERIE
En marge de la présentation de son film HUMAN hier à la Presse au cinéma Mac Mahon à Paris, Yann Arthus Bertrand a bien voulu répondre avec sa décontraction habituelle à quelques questions de Reporters Dz.
1/ Reporters.dz: Avant d’aborder votre film Human, parlez-nous d’abord de votre livre à paraître dans quelques jours aux éditions de la Martinière comme l’ensemble de tous vos livres d’ailleurs?
Yann Arthus Bertrand: je voulais absolument faire ce livre pour expliquer le film parce que tout simplement dans le film il n’y a pas de commentaires. Pour cette raison on peut se poser toutes les questions sur qui on parle. De sorte qu’on a envie d’en savoir plus comme pour l’homophobie interdite dans le monde par exemple. C’est important d’en parler. Comme de la pauvreté aussi, celle qui existe en Inde comme nulle part ailleurs car c’est la vraie pauvreté. Ce n’est pas celle de France. On retrouve d’ailleurs dans ce livre de nombreux thèmes qui ont irrigué le film qui résonnent très fort grâce aux témoignages de ces hommes et ces femmes qui appellent inlassablement chacun à écouter l’autre, à se relier à l’autre. Ce livre est précieux en ce sens qu’il contient tous les enjeux de l’humanité et de son devenir. Il relie certes le film mais pour moi c’est un acte de confiance dans la liberté d’écrire comme celle que prennent tous les témoins dans mon film pour parler librement de leur sort et qui me permettent de recueillir leurs sentiments en toute confiance au plus près de la caméra.
C’est en tous cas ce que j’ai essayé pour tout expliquer à travers les 226 pages de ce livre.
2/Reporters.dz: Votre film traite par des témoignages parfois poignants et fort sensibles du destin de la planète. Et pourtant je vous ai entendu répété que « l’humanité n’avance pas »? Qu’est ce qui vous fait dire cela?
Yann Arthus Bertrand: Le film parle lui même de l’humanité. Cette humanité s’exprime à travers les gens qui témoignent sur la solidarité, l’amour ou le mieux vivre ensemble et bien d’autres choses très intéressantes encore. mais j’ai comme l’impression qu’on est en train de faire la guerre comme on la faisait il y a une centaine d’années. Aujourd’hui la haine amène la mort, l’assassinat la vengeance. Comment s’en sortir? Comment peut-on encore se battre comme des animaux? je crois me poser ce genre de questions aujourd’hui. Pourquoi aussi l’homme, une espèce intelligente, brillante colonise la terre? Il y a un manque de bon sens à tout cela.
Le film Human donne des réponses en même temps qu’il délivre des messages comme celui de ce soldat qui explique par exemple » le plaisir qu’il a de tirer, que l’homme aime tirer et que la guerre fait partie de l’intérieur de nous. »Autre exemple, la France est le 3è pays vendeur d’armes dans le monde. On vend des bateaux de guerre aux Russes en leur disant surtout de ne pas faire la guerre, alors que ce sont des bateaux de guerre super perfectionnés. C’est un non sens. On vit dans un déni, dans une hypocrisie totale car on est toujours partagé entre le profit et les droits d’intérêt personnel. Et pour répondre à votre question, c’st l’homme, l’humanité qui doit avancer à condition qu’on leur en donne les moyens.
3/ Reporters.dz: C’est important pour vous que ce film soit montré aux Nations Unies à New York et à la COP 21 à Paris, deux grandes réunions internationales ?
Yann Arthus Bertrand: OUI. Je le pense sincèrement que Human soit montré aux Nations Unies. C’est très important pour le message qu’il transmet et c’est aussi l’endroit idéal et influent car les Nations Unies sont la clef de tous les super pouvoirs. C’est également un grand symbole que ce film qui parle de corruption, d’injustice, de viol de pauvreté, de faim, d’homosexualité, de violence soit vu dans cette grande enceinte internationale où se prennent les plus grandes décisions en direction du monde.
Pour la COP 21, nul n’ignore que le film est profondément écologique et il pose de vraies questions sur ce sujet sensible.
4/ Reporters.dz : A propos justement de la COP 21, Ban Ki Moon le Secrétaire général de l’ONU que vous connaissez bien a laissé entendre qu’il y a des lenteurs dans les négociations en vue de la COP 21. 56 pays sur 195 ont au jour d’aujourd’hui rendu public leurs intentions sur le réchauffement climatique. Quel est votre sentiment à ce sujet?
Yann Arthus Bertrand: Je connais en effet Ban Ki Moon. Je sais de quoi il parle et ce qu’il pense mais moi sincèrement je n’ai pas de réponse. On est dans un monde de civilisation, d’échanges et on aimerait bien des résultats pour faire avancer les choses. C’est d’ailleurs ce qu’a bien compris le président du Venezuela sur ce sujet. De mon point de vue personnel ce n’est pas la COP 21 qui va changer le monde…Et pourtant cette rencontre est nécessaire pour le dialogue et les échanges qui vont s’instaurer avant toute autre chose.
5/ Reporters.dz: Quel regard portez-vous sur votre film maintenant qu’il est réalisé et porté bientôt à l’écran?
Yann Arthus Bertrand: J’ai travaillé énormément comme vous ne pouvez l’imaginer sur ce film pendant 3 ans avec mes équipes qui ont été formidables et après cela je ne peux qu’ en être fier de ce résultat. C’est un film de témoignages comme je l’ai précisé qui a nécessité 110 tournages dans 60 pays avec 202 récits de vie traduits dans 63 langues. Il dure 3 h mais dans mes bobines, j’ai de quoi réaliser un film de 8 h. C’est vous dire toute l’importance que j’ai accordé à sa réalisation.
C’est aussi un film utopique qui ramène l’homme à sa vie. Un film très fort et profond qui a du sens. Et je le crois sincèrement , pas du tout par modestie parce qu’il est tout simplement formidable avec tous ces gens à l’image qu’accompagne cette musique magistrale d’Armand Amar. Avec des témoignages forts comme celui de ce garçon qui vit dans la rue au Congo et qui dit très justement: » On a chacun une mission sur cette terre, à moi de trouver la mienne parce que Dieu m’en a forcément donné une. » Un gosse de 10 ans qui dit cela de nos jours, c’est fantastique et ça donne à réfléchir….
6/ Reporters.dz: Sur les migrants en Méditerranée qui est devenue un cimetière à ciel ouvert avec des drames qui se succèdent et n’en finissent pas d’ajouter des morts aux morts. Que vous inspire donc ce sujet ?
Yann Arthus Bertrand: Je connais ce sujet grave. J’ai vu Calais, j’ai vu Lampedusa et bien d’autres lieux encore. Dans mon film il y a un grand passage sur les réfugiés. Pour eux , il n’y a pas d’autres solutions que de partir, fuir la guerre quand il n’y a plus rien pour se nourrir. C’est un constat désastreux de cette époque avec tous ces drames humains.
Par internet aujourd’hui le jeune au Mali par exemple sait ce que coûte le salaire en France. Et qu’il n’a qu’une envie devant la désespérance et la misère ajoutée à la guerre que de tenter la grande aventure vers l’ailleurs, n’importe où. Mais il sait que c’est compliqué mais il ne peut faire autrement.
Je pense que les flux migratoires seront encore plus nombreux à l’avenir et l’Europe sera encore plus submergée par les réfugiés et ce ne seront pas les policiers et les barrages qui les retiendront. C’est la ronde infernale des va et vient des hommes qui continue depuis que le monde est monde pour tenter d’aller se reconstruire ailleurs quand on ne peut plus le faire chez soi.
7/ Reporters.dz : Il y a comme un silence gênant de la part des gouvernants de plusieurs pays et de l’UE qui se jettent les responsabilités faute de trouver une solution commune, plausible et urgente à cette question éminemment grave et dramatique.
Yann Arthus Bertrand: C’est tout simplement parce qu’il n’y a pas de solution c’est tout. Moi même je n’ai point d’opinion là dessus. Tout le monde est dépassé. Si j’ai fait ce film que j’aime beaucoup, c’est pour qu’on puisse regarder l’autre d’une façon différente même si on ouvrira toutes les frontières.
8/ Reporters.dz: Revenons à votre film Human. Que vous a t-il apporté de plus que tous les films que vous avez réalisés?
Yann Arthus Bertrand: Je viens de vous dire que j’aime ce film par dessus tout parce qu’il est profond et qu’il a du sens. C’est le film de ma vie qui met en images tout ce que j’avais envie de dire, de faire, pour montrer la beauté du monde, l’amour que j’ai pour les gens et pace qu’il peut être aussi une caisse de résonnance. Je crois également que si on fait ce métier c’est parce qu’on aime les gens et on se sent proches d’eux. Comme bien même aujourd’hui on est dans un monde cynique que je n’aime pas. J’ai plus envie d’être dans un monde de bienveillance et de gentillesse tout simplement.
9/ Reporters.dz: Quel est le souvenir le plus marquant qui vous restera en mémoire de cette réalisation?
Yann Arthus Bertrand: Il me restera certainement le cri de cette femme indienne extrêmement fort qui hurle son désespoir comme un appel au secours.
10/ Reporters.dz: Revenons si vous le voulez bien sur le Film « l’Algérie vue du ciel » dont le succès a été retentissant et que les Algériens ont beaucoup aimé. Avez-vous un message à leur délivrer à cette occasion?
Yann Arthus Bertrand: C’est vrai ce film a rencontré un grand succès et j’ai reçu à l’occasion de sa sortie des milliers de messages de remerciements d’amitié, de sympathie et de reconnaissance de la part des Algériens . Ils m’ont dit tout leur bonheur que je partage d’ailleurs avec eux, même si bon nombre d’entre eux ont découvert leur pays à partir du film seulement. Je leur dis tout simplement qu’ils ont un pays magnifique de beauté et j’ai vu l’Algérie comme j’ai vu aussi sa tristesse et ce film est pour eux.
Propos recueillis par JACKY NAIDJA
à Paris.