« LA NUIT DE ZELEMTA » DE RENE VICTOR PILHES
OU L’ALGERIE ENTRE HISTOIRE ET MEMOIRE.
Il est tout à fait logique que l’auteur de ce roman, René Victor Pilhes parce que jeune appelé en Algérie qui a vécu dans sa chair la guerre d’Algérie vienne réaliser un jour son vœu ancien de laisser un témoignage aussi frappant sur cette période tragique autour d’une rencontre entre deux personnages que tout sépare sauf leur pays : l’Algérie. Ce récit poignant et passionnant à la fois aura surtout permis de comprendre l’histoire d’une guerre qui est celle d’une trahison envers le peuple algérien, envers les appelés du contingent et envers les français d’Algérie: ceux qu’on nomme les pieds noirs.
« La nuit de ZELEMTA », de René Victor Pilhes raconte en effet une histoire sortie tout droit d’une rumeur selon laquelle le jeune Sous-Lieutenant jean Michel Leutier, pied noir de Témouchent aurait laissé s’enfuir le grand chef FLN Abane Ramdane pendant la guerre. C’est de cette rencontre du jeune officier pied noir avec Abane Ramdane, une des figures politiques de l’insurrection l’algérienne et fondateur du FLN que se construit l’œuvre énigmatique de l’auteur..
Obsédé par cette histoire, René Victor Pilhles, lui même ayant été militaire du contingent en Algérie, pays qu’il connait bien et dont les villages lui ont souvent servis de cadre pour ses personnages comme dans son 2e roman « l’Ombre du Loum plane« (1969), il la raconte 60 ans après. Comme dans une grande confession, l’auteur va utiliser le romanesque pour mieux la faire vivre et en la nommant avec des mots à lui.
Comme dans son dernier ouvrage « l’imprécateur » (1974) au succès considérable et un prix Fémina, l’auteur n’a pas lésiné dans l’art d’écrire avec sa spontanéité habituelle, avec lucidité mais non sans obsession pour ne parler du passé qu’au présent avec du tragique et de la compassion en partage.
Le livre raconte qu’à la fin de l’été 1953, Jean Michel Leutier quitte Ain Témouchent pour rejoindre la France pour des études à Toulouse. Devenu visiteur de prison, amené souvent à rendre visite à la prison d’Albi, il y rencontre le héros encore inconnu de l’Algérie Abane Ramdane qui va exercer sur lui une certaine influence pour s’apercevoir que dans son Algérie à lui, il y avait bien deux camps: un camp de ceux qui possédaient tout et un camp qui ne possédait rien.
C’est dire que lorsqu’il s’agit de la période tragique de la guerre d’Algérie ou de quelques événements à elle rattachés, les masques tombent. Mais ne restera que la conjuration du silence sur cette question à laquelle d’ailleurs René Victor Pilhes apportera avec gravité et une grande sincérité des ultimes réponses enfouies chez lui depuis de nombreuses années.
Quatre ans plus tard, ces deux personnages se retrouvent adversaires jusqu’à cette nuit de Zelemta: l’un officier militaire français envoyé en Algérie dans la zone de Zelemta en Oranie, précisément au moment même où Abane Ramdane cherche à s’enfuir vers le Maroc, se rendant ainsi coupable de haute trahison par l’Armée. Au fur et à mesure de leur liaison, les deux hommes vont mieux se connaitre et Abane Ramdane va jusqu’à dresser au jeune Officier le portrait de l’Algérie nouvelle qu’il appelle de ses vœux.
René Victor Pilhes, homme révolté en permanence qui, après un long silence sort cette histoire intime sur la relation de ces deux personnages qu’il met face à face durant la guerre d’Algérie, avec au grand jour toute la complexité des rapports entre Algériens et Français face à des enjeux politiques de guerre, autour de tous les paradoxes de l’histoire coloniale et de ses heures sombres comme cette nuit de Zelemta dont on ne sait vraiment si cet événement s’est réellement produit.
Un livre inhabituel au récit puissant qui interpelle sur l’idéal de justice, qui se lit d’un trait, qui dérange sur la France en Algérie, jamais prête à s’engager sur le chemin de la vérité mais écrit sans haine avec cependant une certaine grande compassion vis à vis des pieds noirs qui ont dû quitter l’Algérie malgré eux à l’indépendance.
Un précieux document passionnant qui va sans nul doute marquer pour longtemps les esprits sur cette question de la guerre d’Algérie sur la quelle l’auteur écrit notamment: « Un conflit pourri de huit ans où étaient appelés sous les drapeaux 1.350.000 conscrits mobilisé d’autorité, non volontaires, qui n’ont demandé rien à personne, à qui on a extorqué deux des meilleures années de leur jeunesse dont parmi eux 13.000 morts dont les cercueils rapatriés à la sauvette n’eurent les honneurs ni de la presse ni de la Cour des Invalides ».
René Victor Pilhes tout en dénonçant certains clichés apporte un nouvel éclairage sur l’histoire et contribue en quelque sorte à une certaine vérité sur une page encore ignorée de l’Algérie qui met à mal un nombre d’idées toutes faites sur ce que fut l’histoire de deux pays au cours de ces années terribles et sombres.
JACKY NAIDJA de Marseille
P/ REPORTERS.DZ
* La nuit de Zelemta de René Victor Pilhes aux éditions Albin Michel
* René Victor Pilhes: Ecrivain Français né en 1934. Avec 15 publications et 2 prix : Un Médecis en 1965 pour « la Rhubarbe » et un Fémina pour l’Imprécateur 1974 qui reste son meilleur ouvrage. Un best seller avec 390.000 exemplaires vendus et bien accueilli par la critique où il dénonce notamment les travers de l’économie où la quête effrénée du profit remplace les vertus. Un livre qui a fait l’objet d’un film en 1977 réalisé par Jean Louis Bertucelli. 60 ans après, René Victor Pilhes récidive avec l’écriture de « la nuit de Zelemta », un roman ayant pour sujet la guerre d’Algérie autour de la personnalité de Abane Ramdane héros de l’Algérie.