Les migrants en Méditerranée avec Benjamin Stora

Propos recueillis par Jacky Naidja
Reporters : Sur les migrants en Méditerranée, on parle désormais dans l’UE d’un refus des quotas… qu’en pensez-vous?
Benjamin Stora : Il y a eu un refus officiel… J’étais partisan pour que des quotas soient mis en œuvre même si ce n’est pas la solution idéale. Elle aurait permis d’ouvrir une porte et d’accueillir quelques milliers de réfugiés, ce qu’on appelle les migrants aujourd’hui. C’est dire qu’il y avait cette possibilité là mais d’entrée, le chef du gouvernement britannique David Cameron s’est prononcé contre ces quotas.
Mais aussi par Donald Tusk, le président du Conseil européen…
C’est regrettable en tout cas. Dans la mesure où cette position permettait de recueillir quelques milliers de personnes. Visiblement, les gouvernements ont peur de leur propre opinion publique, des élections… Puis il y a une pression populiste, qui va de la Hongrie à l’Angleterre, qui s’exerce et en demandant même la fermeture des frontières. D’ailleurs, ce sont plus vers des solutions de fermeture que d’accueil vers lesquelles s’oriente l’Europe.
Vous avez déclaré qu’il faut plus de compassion à l’égard des migrants. Qu’entendez-vous par-là ?
C’est le fait que dans les années 1970, il y avait des mouvements de solidarité qui s’exprimaient à l’égard par exemple des réfugiés espagnols républicains qui franchissaient la frontière des Pyrénées dans des conditions très dures. Même si c’était difficile, il y avait des mouvements de solidarité notamment de la part de la gauche française. Là, il y a le sentiment qu’il n’y a pas du tout de mouvement de solidarité. Ce sont des mouvements extrêmement minoritaires. Il y a en fait une sorte d’individualisme qui s’exprime en Europe qui est en fait de l’égoïsme, donc c’est pour combattre ce sentiment que j’ai voulu parler de compassion à l’égard des migrants.
Compassion de la France ou de tous les pays européens ?
De tous les pays européens car cette question migratoire est un drame pour tout l’ensemble du Bassin méditerranéen ; donc de l’ensemble de l’Europe, et cela touche tous les pays européens, pas seulement la France. Le pays aussi est concerné par cette histoire et donc il doit également, par la voie de sa politique, s’exprimer et tendre la main mais encore une fois, il y a une grande peur de l’état d’esprit des populations et des sociétés.
Que souhaiteriez-vous comme solution urgente ?
Je ne sais pas et je m’interroge ! Je ne suis pas un responsable politique mais j’essaie de donner un point de vue. Je pense que, déjà, il faudrait loger ou reloger dans des conditions décentes et correctes l’ensemble de ceux qui ont choisi la France terre d’asile, terre d’accueil, ce qui me paraît une solution immédiate pour qu’ils puissent bénéficier du droit au logement. Mais ce qui n’est pas évident du tout. Et par ailleurs de regarder de manière beaucoup plus rapide les procédures du droit d’asile parce que ce sont des personnes qui fuient des régimes politiques et des guerres. Ce ne sont pas simplement des migrants économiques mais il est nécessaire et il faut absolument accélérer les procédures d’asile politique à octroyer à ces réfugiés.
Justement, c’est le sociologue et l’historien qui parle mais pour le président du Musée des migrations, avez-vous une idée sur la participation du musée sur ces questions ?
Un musée ce n’est pas une institution d’aide. L’objectif de ce musée est de faire en sorte qu’on puisse restituer l’histoire de l’immigration. C’est déjà en soi un acte important, de la faire connaître, de valoriser l’apport de l’immigration par la construction de l’Histoire française. La conjoncture actuelle est une conjoncture très difficile marquée par le refus de l’autre, de l’étranger, etc. Le simple fait qu’il y ait un lieu qui soit un musée national qui exprime cette solidarité, qui explique l’histoire de toutes ces immigrations et comment elles ont été un apport très précieux pour la France, c’est déjà en soi quelque chose de difficile à montrer, c’est un acte difficile culturellement et politique par ailleurs.
En référence au dernier débat sur les migrants, quelle est votre opinion personnelle sur la déclaration de Manuel Vals à propos du djihadisme qui a évoqué une « guerre de civilisation » ?
Je crois que l’essentiel, ce n’est pas de mettre de l’huile sur le feu mais, au contraire, de faire en sorte, par la parole politique publique, de ne pas creuser de fossés entre les personnes et les peuples.

Juste un mot sur la Grèce qui, malgré les difficultés économiques et politiques, continue à accueillir d’importants flux de migrants…
Malgré la politique d’austérité qui lui est imposée, la Grèce ne refuse pas d’accueillir les migrants, ce qui est aussi d’ailleurs le cas de l’Italie. Ces deux pays sont les plus touchés par les migrations. En revanche, il n’y a pas chez ces 2 pays de déclarations d’exclusion. Il faut donc dire et montrer le courage des politiques mais aussi des intellectuels de ces pays là et en particulier les Grecs par rapport à ce problème humain, car c’est bel et bien un problème humain. Et il ne faut pas sombrer dans des considérations idéologiques ou politiques au sens négatif mais c’est tout simplement un problème d’humanité.

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