«Si on ne dévoile pas aujourd’hui la mémoire de nos anciens, elle partira avec eux » Lina Soualem.
Un documentaire franco-algérien, retentissant, attendrissant, et joyeux à la fois, inspiré d’une relation familiale, mettant en scène les grands parents de Lina, Aicha 80 ans et Mabrouk 85 ans, à travers une recherche de la mémoire en vue de sa transmission.
C’est de cette première génération d’émigrés algériens qu’il s’agit dans ce film, à l’exemple des époux Soualem qui sont venus travailler en France sans avoir tout à fait conscience du poids de l’exil à affronter. Tout en sachant bien qu’il faudra vivre avec ce mythe du retour au pays un jour ou l’autre.
Après 62 ans de mariage, Aicha et Mabrouk a l’orée de leur bel âge vont se séparer pour vivre chacun de son côté. L’un en face de l’autre.
Ils se sont mariés en Algérie en 1949, dans leur village de Laouamer près de Setif. Et ensemble, ils ont émigré en France pour s’installer à Thiers dans les années 1950. Mabrouk a trouvé du travail dans la célèbre coutellerie de Thiers. Aicha est femme au foyer. Et côté à côte, ils ont traversé avec leur histoire commune la vie chaotique du sort des émigrés pendant 62 ans avec leurs 4 enfants qu’ils ont élevé du mieux de leur possible.
Depuis cette séparation imprévisible et ce choix de vie décidé, s’est présentée à Lina l’occasion de lever le voile une fois pour toutes, sur leurs discrétions, comme sur ce long voyage d’exil qui les a amenés en France. En même temps, comment dévoiler ce long silence derrière lequel il y a comme une grosse douleur qui pèse sur leur existence ?
Celle du déracinement, de l’exil.
Les deux époux depuis s’étant repliés dans un mutisme complet sans jamais répondre à quelques questions de leurs proches. À travers cette histoire, il y a pour la réalisatrice comme une urgence à traverser leur vie commune et intime avec l’Algerie en toile de fond représentée psychologiquement par la transmission de la mémoire. Un sujet qui jusque là n’a pas toujours été expliqué à cause probablement de certains refoulements douloureux et de certains non-dits. La réalisatrice désemparée par la séparation de ses grands-parents après 62 ans de vie commune, va essayer grâce à la caméra de leur arracher les moindres souvenirs de leur passé dont elle ne sait rien, pour les faire sortir de ce lourd silence qui pèse sur eux. En les filmant, elle tente de leur arracher le moindre souvenir, comme tous ces petits secrets enfouis dans leur mémoire dont elle ignore l’existence. Jusqu’à ce voyage en Algérie dans leur village Laouamer pour interroger la famille et ramener avec les souvenirs de leur passé et les quelques traces de cette Algérie. La leur, celle de leur tendre enfance. Des souvenirs qui vont tout un coup réveiller leur mémoire notamment chez Mabrouk.
Un film modèle pour ces générations sacrifiées largement concernées par cette question de transmission de la mémoire que la réalisatrice met en lumière sur des images exaltantes de justesse et de vérité avec cette place dans le film de Zinedine Soualem le fils, acteur français bien connu aux côtés des parents pour témoigner de leur vécu et de cette histoire commune pour enfin briser ce silence.
Trois ans ont permis à ce premier film pour une sortie le 13 octobre dans les salles françaises. Un film fort par sa spontanéité et sa vérité qui vient heurter de front la sensibilité pour mieux libérer la parole sur l’exil et la mémoire.
Lina Soualem continue sa tournée en France avec son film, présenté à L’Alhambra à Marseille, l’Eden La Ciotat où il a reçu un éclatant succès. Puis une programmation à compter du 8 décembre prochain en Algérie dans plusieurs salles comme les instituts français d’Alger, Constantine, Annaba, Oran, Bejaia ou Setif.
Un autre retour aux sources… du film sans Mabrouk, décédé après la fin du film qu’il n’aura jamais vu.
Jacky NAIDJA
*Lina Soualem : 31 ans, actrice et réalisatrice du film «Leur Algérie», son 1er film sorti en octobre 2021.
Elle est la fille du comédien Zinedine Soualem et de l’actrice et réalisatrice franco palestinienne Hiam Abbes
Montré en 2020 dans plusieurs festivals notamment à Cinemed, il reçu le prix du meilleur 1er film.
«Leur Algérie» a été primé également au festival du film arabe de Fameck.
Actrice Lina Soualem a participé au film : « À mon âge, je me cache pour fumer » dont sa mère Hiam Abbes était tête d’affiche. Et dans « tu mérites un amour » de Hafsia Herzi.
ENTRETIEN
JN/ Reporters : Lina, vous avez réussi à réaliser ce que vous vouliez dans ce film documentaire, à savoir la transmission de la mémoire de vos grands-parents, comme un véritable héritage aux génération futures.
Que diriez -vous de plus à ce sujet ?
Lina Soualem: Avoir filmé Aicha et Mabrouk aujourd’hui, plus de 60 ans après leur arrivée en France, m’a permis d’évoquer l’exil, une dérive à long terme. Avec cette idée de dérive, il y a l’idée de la perte irrémédiable de ce que l’on était. Pourtant à travers ce film et mon voyage en Algérie, je cherche à aller contre cette dérive en tentant de réconcilier les personnages avec leur passé. Comme pour réactiver la mémoire. La mémoire , la base de tout, de la transmission, de la construction. À partir du moment où on ne reconnaît pas cette mémoire, on exclut tous ces gens qui ont contribué à la construction de la société française et de fait leurs enfants et leurs petits enfants. Au lieu de chercher à les effacer, à empêcher de comprendre l’histoire de chacun, on devrait appréhender ces mémoires collectives, ces expériences collectives comme constitutives de richesses. C’est d’autant plus important pour nous les petits enfants, de pouvoir se connecter à l’histoire de nos grands-parents, de nos parents pour mieux comprendre ce qu’ils ont vécu. Le pourquoi ils sont venus dans ce pays, pour mieux comprendre notre propre place dans ce même pays
JN/ Reporters : Ce 1er film documentaire « Leur Algérie » marque votre 1er succès au cinéma. En avez-vous bien conscience et quel est votre état d’esprit actuellement au regard du bien qu’on dit du film ?
Lina Soualem : J’en suis très heureuse, surtout d’avoir pu mener about un premier film. C’est un premier tout. Un projet que j’ai mené sur plusieurs années et de pouvoir le présenter aujourd’hui face au public c’est plus qu ´un rêve qui se réalise. C’est un rêve éveillé !
JN / Reporters : Vous vous êtes offert la liberté de faire un film en famille où votre père Zinedine Soualem acteur français bien connu a tenu un rôle aux côtés de sa mère Aicha et son père Mabrouk. Quelles réflexions en tirez-vous ?
Lina Soualem : Mon père ne joue de rôle dans le film, il est lui-même le fils. Le fils de ses parents et c’est mon père. Comme c’est un film documentaire, les personnages ne jouent pas de rôles. C’est moi qui prend le rôle d’observatrice en tant que réalisatrice et petite fille pour raconter leur réalité et leur vérité.
JN/ Reporters : Est-ce difficile de diriger trois membres de sa famille et de réaliser in fine un petit chef d’œuvre aussi émouvant par ses dialogues accentués par les rires de Aicha et par certains silences des fois ?
Lina Soualem : J’ai eu la chance de bénéficier du soutien et la confiance de toute ma famille en faisant ce film. Ce qui m’a permis de capter facilement la réalité des personnages que je filmais. J’étais seule pour le tournage, je filmais et prenais le son. J’étais donc dans un rapport exclusif et intime avec mes grands-parents que je filmais et c’est cela qui a favorisé l’émergence du réel.
JN/ Reporters : Par quoi avez-vous été le plus tenté pour réaliser ce film ?
Lina Soualem : Quand mes grands-parents se sont séparés, je me suis rendue compte que non seulement je ne connaissais rien d’eux, ni ne savais rien de leur intimité, ni ne comprenais leur séparation. Je ne connaissais rien aussi de leur histoire d’exil de l’Algerie à la France. Leur silence tout d’un coup est devenu très pesant au point que je ressentais le besoin vital de me connecter a eux et de les filmer.
Je voulais connaître leur histoire, en cherchant surtout à briser ce silence et comprendre d’où il venait et ce qu’il cachait. Avec la peur qu’ils disparaissent sans me transmettre leur histoire. C’est en tentant de comprendre leur séparation et en cherchant l’Algerie en eux que j’ai découvert l’arrachement et la douleur du déracinement longtemps enfouie en eux.
JN/ Reporters : Vous vous apprêtez dés le 8 décembre à faire une tournée avec votre film dans plusieurs villes d’algerie. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Lina Soualem : Je suis très heureuse de pouvoir présenter ce film en Algérie. D’autant plus que j’ai eu différents soutiens sur place et partager ce bon à la fois avec mon père et ma grand-mère qui m’accompagnent lors de l’avant-première à Alger le 8 décembre.
JN/ Reporters : Enfin quel est votre prochain projet au cinéma car il se murmure que c’est un film sur l’itinéraire de votre mère Hiam Abbés actrice palestinienne bien connue. Et que vous comptez aller même tourner en Palestine. Est- ce bien vrai ?
Lina Soualem : Je travaille en effet sur un projet dans la même thématique de la transmission mais du côté de la famille maternelle palestinienne et la façon dont la mémoire se transmet à travers les femmes de la famille et la force de leur re relations. Je ne peux malheureusement en dire plus, car c’est en cours de préparation.
Entretien réalisé par Jacky NAIDJA p/Reporters.dz